Burn Manifesto
Ce texte est une réponse à l’« Extra-Ordinaire Manifesto» dont la publication a accompagné en octobre 2019, l’ouverture de la boutique Extra-ordinaire du créateur de mode et « amoureux de l’exotisme » Jean-Paul Lespagnard.

© The Boondocks, Aaron McGruder, 2002, Universal Press Syndicate.
Monsieur Lespagnard, quand je lis
votre manifeste, je ne
sais par où commencer. Ou peut-être que si, je sais. Je commencerai par vous
dire le sentiment de colère qui m’envahit en découvrant vos propos arbitraires,
racistes et mensongers, qui ne s’encombrent ni d’une analyse théorique précise,
ni d’une contextualisation et va même jusqu’au révisionnisme historique.
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Capture d’écran du site internet d’Extra-ordinaire
Je soulignerai d’ailleurs que sur
votre site internet, vous ne mentionnez jamais vos partenaires et/ou
collaborateur·ice·s et vous contentez simplement d’inscrire l’origine des
objets que vous vendez. Je m’interroge donc sur ce que revêt votre vision du
partage quand seules vos productions portent un nom : le vôtre.
Feu.
26.10.2020
Soto Labor
Monsieur Lespagnard, quand je lis
votre manifeste, je ne
sais par où commencer. Ou peut-être que si, je sais. Je commencerai par vous
dire le sentiment de colère qui m’envahit en découvrant vos propos arbitraires,
racistes et mensongers, qui ne s’encombrent ni d’une analyse théorique précise,
ni d’une contextualisation et va même jusqu’au révisionnisme historique.
Je démarrerai donc là où vous
commencez, lorsque vous annoncez prophétiquement : « la mort » de l’art
populaire. Toutefois, avant de m’arrêter sur cette affirmation – fallacieuse à
n’en pas douter, je voudrais m’attarder sur votre définition de l’art
populaire. Selon vous, l’art populaire serait l’art d’une communauté donnée et
refléterait l’identité sociale et culturelle d’une personne. Votre définition,
par trop généralisante, ne fait donc aucune différence entre l’art
contemporain, l’art brut, le pop art, les arts vivants ou toute autre forme
d’art.
Il me semble donc important de
préciser que l’art populaire est une notion, apparue en premier lieu au XVIIIe
siècle dans les milieux intellectuels, au moment où débutent les études
folkloriques en Europe. Elle servait alors à désigner les objets de la vie
quotidienne fabriqués artisanalement, les danses et les chants des populations
européennes issues des couches populaires. Mais elle était également un
mot-valise pour désigner toutes les productions matérielles et immatérielles
extra-européennes. Il s’agit donc avant tout d’une notion proprement européenne
dont les méthodes scientifiques d’observation et de classification sont à
mettre en perspective.
Quant à votre affirmation de la
mort de cet art, ou devrais-je dire de ces arts, en raison des dynamiques
produites par la mondialisation, j’y vois une tentative de combler un vide
théorique par une pirouette afin de vous approprier ce terme. Monsieur Lespagnard,
ajouter l’adjectif « contemporain » à cette formule, n’en fait pas un concept
nouveau.
Quand vous affirmez ensuite, dans
levolet ethnographique de votre « manifeste », que l’art populaire est un «
mélange des techniques héritées de génération en génération, de l’histoire d’un
groupe, d’une région, d’une rencontre culturelle heureuse et/ou malheureuse»,
vous proposez une vision très édulcorée, voire honteusement euphémisante de la
réalité historique que recouvre ces « rencontres malheureuses ».
J’aimerais vous rappeler, puisque
vous inscrivez votre boutique dans le contexte Bruxellois, que la Belgique
porte un lourd passé colonial. Vous semblez oublier que toute entreprise de
colonisation vise d’abord le pillage et l’appropriation des ressources des
peuples colonisés. Pillage qui doit son succès à l’appareil de domination
politique et militaire déployé sur ces territoires.
En rendant ainsi le colonialisme
« cool » («le coolonialisme », comme vous dites), vous ne masquez pas seulement
les violences et l’asservissement de ces populations, mais vous renforcez les
logiques d’appropriation néocoloniales contemporaines. D’ailleurs, quand vous
ajoutez que « [l]es échanges commerciaux et la colonisation ont joué un rôle
important dans le mélange des matériaux et des techniques [et que] les
savoir-faire étrangers étaient adoptées et fusionnés [...] créant différentes
cultures hybrides, précurseures de l’art populaire contemporain », vous ne vous
en cachez pas. Un tel révisionnisme est effrayant ! Monsieur Lespagnard, la
colonisation n’est pas un échange de cultures. L’échange n’existe que dans une
relation égalitaire entre des personnes ou des groupes.
Le plus étonnant est peut-être
que vous vous targuez de présenter un projet « libéré de toutes contingences esthétiques
et sociales ». Et pourtant, vous travaillez à produire des marchandises selon
des techniques issues du monde entier, auprès d’artisan·e·s étranger·ère·s.
Comment pourriez-vous donc vous extraire des rapports de pouvoir inhérents à
tout rapport de production ?

Capture d’écran du site internet d’Extra-ordinaire
Je soulignerai d’ailleurs que sur
votre site internet, vous ne mentionnez jamais vos partenaires et/ou
collaborateur·ice·s et vous contentez simplement d’inscrire l’origine des
objets que vous vendez. Je m’interroge donc sur ce que revêt votre vision du
partage quand seules vos productions portent un nom : le vôtre.
Décidément Monsieur Lespagnard,
vous vous fourrez profondément le doigt dans l’œil ! Votre conception de la
mondialisation comme « la prise de conscience de la diversité des cultures, de
leur adaptation et de leur fusion, et de leurs sentiments communs » en dit
long. Piètre formule pour justifier votre entreprise néocoloniale
d’appropriation culturelle.
Permettez-moi de croire que votre
conscience vous fait défaut, puisque vous ignorer sciemment de créditer vos
collaborateur·rice·s. Et si leurs noms s’effacent, j’ose m’interroger sur les
conditions de travail et la rémunération de ces dernier·ère·s.
Ainsi, Monsieur Lespagnard, la «
moodialisation » est peut-être le meilleur néologisme que vous ayez construit,
puisque ce concept illustre parfaitement la manière dont vous vous accaparez,
selon votre humeur, les pratiques extra-européennes pour mieux irriguer les
marchés « occidentaux » dans le seul intérêt de votre marque.
Monsieur Lespagnard, il est
encore temps de réfléchir à l’économie dans laquelle vous vous inscrivez,
quitte à tout faire sauter.
Feu.
26.10.2020
Soto Labor
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