[GENÈVE] Initiative puissante et inspirante pour la rémunération des artistes


mobilisationdesartistes.tumblr.com
La Mobilisation des artistes* à Genève invite toute·x·s les actrice·teur·x·s et sympathisant·e·x·s de la scène des arts visuels à signer la

LETTRE OUVERTE 
POUR LA RÉMUNÉRATION DES ARTISTES* À GENÈVE

*artistes visuel·le·x·s, performeuse·eur·x·s, curatrice·teur·x·s, critiques, chercheuse·eur·x·s 

Nous faisons les observations suivantes:

  • La plupart des espaces, institutions d’art et projets impliquant des artistes* à Genève ne rémunèrent pas, ou pas suffisamment, le travail des artistes* qu’ils invitent. 
  • Les espaces, institutions d’art et projets artistiques à Genève sont majoritairement tributaires de financements publics pour leurs activités. 
  • Il n’existe aucun barème précis de rémunération, aucune convention collective régissant le travail des artistes* en Suisse, ni aucun syndicat représentant leurs intérêts. 

Nous souhaitons que de nouvelles mesures soient prises par les autorités municipales, cantonales et communales à Genève en faveur des artistes* afin d’engager les espaces, institutions d’art, projets artistiques et acteur·trice·x·s culturel·le·x·s à rémunérer les artistes*.

Notamment qu’il soit inscrit:

  • dans les prochaines conventions de subventionnement que la Ville de Genève, le Canton et les Communes signent avec les institutions d’art1,
  • dans les obligations relatives aux conditions d’octroi d’une subvention pour un programme annuel d’un espace2, d’un festival présentant des projets artistiques3, ou un projet d’art contemporain alloué à des individus ou structures associatives, 
  • dans les règlements des musées et centres d’art gérés par les services culturels municipaux4,

de nouvelles clauses mentionnant: 

  • que l’espace d’art, l’institution ou le bénéficiaire du soutien doit rémunérer toute·x·s les artistes* invité·e·x·s selon un montant correspondant à la réalité du travail effectué, en concertation avec chaque artiste*, avec un contrat, en fonction d’un barème5 et ceci en observant les lois et règlements pour les cotisations aux assurances et les prestations sociales, 
  • qu’un poste dédié à la rémunération des artistes* soit clairement inscrit dans les budgets prévisionnels et les comptes de l’espace d’art, de l’institution subventionnée, ou du/de la bénéficiaire du soutien, par une ligne distincte des frais de production et relative au budget global, mentionnant les honoraires des artistes* pour permettre une vérification. Donc sans rémunération des artistes*, il n’y a pas de subvention.

Enfin, nous souhaitons que les participant·e·x·s à l’exposition annuelle Bourses de la Ville de Genève au Centre d’art contemporain reçoivent, et ceci dès la prochaine édition, une rémunération ainsi qu’un budget de production pour la réalisation des œuvres présentées.

Rejoignez-nous et intégrez le débat en 
SIGNANT LA LETTRE OUVERTE EN LIGNE:
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Inscription à la newsletter et questions : 
mobilisationdesartistes_ge@riseup.net 

1. Centre d’art contemporain, Centre d’édition contemporaine, Centre pour la photographie, Halle Nord, Mamco. 
2. Andata Ritorno, Forde, Villa Dutoit, etc. 
3. Antigel, La Bâtie, Les Créatives, Électron, GIFF, Mapping Festival, etc. 
4. Le Commun, Ferme de la Chapelle, Médiathèque du FMAC, Musée d’art et d’histoire, Musée Rath, Villa Bernasconi. 
5. La constitution d’un barème étant un procédé engageant de nombreux acteurs et propre à chaque contexte, nous souhaitons ici signifier l’importance de la création d’une grille de rémunération. Toutefois, le barème en place devra considérer les réalités économiques des structures les plus vulnérables, afin de ne pas leur porter préjudice.


CONTEXTE

Les arts visuels sont créés par des artistes*. Sans les artistes*, il n’y a pas d’art, ni d’espace et d’institution d’art. Actuellement à Genève, la rémunération des artistes* n’est que très rarement prévue lors de l’établissement de budgets d’expositions ou de projets. Dans de très nombreux cas, les artistes* ne sont pas ou très peu rémunéré·e·x·s par les institutions et les organisateur·trice·x·s de projets artistiques. Cette situation repose sur un postulat, celui que l’exposition augmente la visibilité et la plus-value des artistes* qui pourront être rémunéré·e·x·s dans un second temps par la vente de leurs oeuvres, mais il n’y a aucune garantie que ce sera le cas. En effet, peu sont les personnes qui ont l’opportunité de vivre de cette activité. Et selon l’étude internationale réalisée en 2018 par The Creative Commons seulement 12% des répondant·e·x·s affirment que les ventes de leurs œuvres par les galeries les ont aidés à les soutenir financièrement6 . En effet, beaucoup de pratiques artistiques n’ont pas leur place sur le marché de l’art. De la même manière, le marché ne reflète pas suffisamment les diversités, car il a tendance à valoriser des postures dominantes. Ainsi les femmes et les autres groupes opprimés (personnes non-blanches, personnes trans* et non-binaires, personnes en situation de handicap, etc.) sont sous-représenté·e·x·s et cela a des répercussions globales sur l’état de l’art. Les institutions sont, de fait, tributaires de cette économie en ne payant pas les artistes*, ce qui entretient ces systèmes d’oppression et d’exclusion. 

LE TRAVAIL DES ARTISTES*

Lorsqu’un·e·x artiste* est invité·e·x à présenter une ou plusieurs œuvres dans le cadre d’une exposition collective ou personnelle ou pour un événement ponctuel, elle/il doit fournir, en plus de la conception et la production des œuvres, une série de services au bénéfice de l’institution. Il s’agit d’un travail spécifique et souvent conséquent. Il y a de nombreuses tâches relatives à la réalisation de chaque projet: de nombreux échanges d’emails, les entretiens et rendez-vous, la visite des lieux, la coordination de la production et du transport, la rédaction de textes pour la communication et la médiation, le montage et le démontage sur place souvent pendant plusieurs jours, le suivi de la documentation, les rencontres avec la presse et les visiteuse·eur·x·s, l’administration, la comptabilité, et parfois aussi la réalisation d’une publication. Durant tout ce processus, l’artiste* ne touche, dans la majorité des cas, aucune rémunération, contrairement aux employé·e·x·s de l’institution (sauf dans le cas de certain·e·x·s stagiaires et travailleuse·eur·x·s bénévoles). Nous pensons que les espaces et institutions doivent rémunérer tou·te·x·s les artistes* qui travaillent pour eux dans le cadre d’expositions ou autres types de participation à leur programme.

CONSÉQUENCES

Des études récentes montrent qu’environ la moitié des artistes en Suisse gagnent moins de CHF 10’000.– par an avec leur pratique artistique, et seulement environ un quart gagne plus de CHF 24’000.–. Seulement 1% des artistes en Suisse réalise un revenu annuel de plus de CHF 100’000.– et environ 20% peuvent vivre des revenus de leur art7 . Cette réalité est d’autant plus frappante que l’on parle d’un des pays dont le budget alloué à la culture est l’un des plus élevé au monde. L’économie dysfonctionnelle de l’art est créatrice de fortes disparités en Suisse. Elle ne permet pas à la majorité des artistes* de subvenir à leurs besoins vitaux comme se nourrir, se loger et se soigner. Il n’existe à ce jour en Suisse aucun statut pour les artistes*, ni barème salarial, ni convention collective adaptés à leur travail. Ce manque engendre de nombreuses situations de précarité, car les prestations de sécurité sociale prévues par le système suisse (AVS/AI, assurance chômage, allocations de perte de gain) sont souvent inatteignables.

ACTUALITÉ

Aujourd’hui, grâce à différentes initiatives, le sujet rencontre un écho grandissant. Le quotidien d’information genevois Le Courrier nous a indiqué que l’article le plus lu en 2017 sur lecourrier.ch, toutes catégories confondues, est l’article Faut-il payer les artistes? (Emmanuelle Fournier-Lorentz, 25 août 2017). L’enquête plus récente de Samuel Schellenberg #PaieTonArtiste (28 mars 2018) est à ce jour le 4e article le plus lu sur leur site internet en 2018. On y apprend que les lignes sont en train de bouger. La fondation suisse pour la culture Pro Helvetia affirme qu’il s’agit d’un sujet important et nécessaire et le définit comme une priorité pour elle. À Genève, le Centre d’art contemporain, Forde et Zabriskie Point ont modifié leur politique et rémunèrent les artistes* avec lesquel·le·x·s elles travaillent. Mais les montants proposés restent symboliques et ne correspondent ni au temps ni au travail qu’un·e·x artiste* fournit. Dans la plupart des cas, ces relations de travail ne sont pas formalisées par des contrats, de sorte que les artistes* ne peuvent pas se défendre. De plus, les artistes* ne sont pas embauchés temporairement par l’institution, ainsi leurs cotisations aux assurances sociales ne sont pas payées si elles/ils/x ne sont pas indépendant·e·x·s. Par ailleurs, si la direction de ces espaces et institutions d’art change, il n’y a aucune garantie que la rémunération des artistes* y sera assurée.

SOLUTIONS POSSIBLES

Récemment, le Mondriaan Fonds aux Pays-Bas, un fonds public soutenant les projets culturels au même titre que Pro Helvetia en Suisse, a modifié sa politique de subventionnement en instaurant une nouvelle directive obligeant les espaces d’art et les requérant·e·x·s à rémunérer les artistes. À présent, il est inscrit clairement dans leurs conditions d’octroi pour un soutien que, si un·e·x artiste est impliqué·e·x dans un projet, l’espace d’art, l’institution ou le/la/x bénéficiaire du soutien doit le/la/x rémunérer un montant correspondant à la charge de travail effectuée. Également, la mention de cette rémunération doit apparaître dans les budgets et les comptes de l’institution ou du projet pour pouvoir permettre une vérification. Donc sans rémunération des artistes, il n’y a pas de subvention. Il existe également aux Etats-Unis l’initiative W.A.G.E. (www.wageforwork.com) ayant mis en place un système de certification pour les institutions d’art à buts non-lucratif qui s’engagent à verser un cachet pour les artistes selon leur calculateur de cachets. Au Canada, CARFAC, une association défendant les droits économiques et juridiques des artistes, a depuis longtemps régulé le travail artistique par le biais de barèmes pour la rémunération des artistes. Inspirons-nous de ces initiatives innovantes! Les espaces, institutions et projets d’art à Genève sont majoritairement tributaires de financements publics pour leurs activités. De ce fait, inscrire dans les conventions et règlements de subventionnement de nouvelles directives régissant le travail des artistes* serait la manière la plus efficace pour que les pratiques changent et ceci de manière pérenne.

BOURSES DE LA VILLE DE GENÈVE

La Ville de Genève, par le biais de l’exposition des Bourses au Centre d’art contemporain decernant chaque année trois prix artistiques, déclare soutenir les jeunes artistes genevois·e·x·s. Pourtant, les artistes sélectionné·e·x·s ne reçoivent aucune rémunération et doivent payer de leur poche la production de leurs œuvres pour cette exposition. Certain·e·x·s artistes ne peuvent ou ne souhaitent pas participer par manque de fonds propres pour leur production ou par manque de temps, ne pouvant pas se permettre de travailler gratuitement. Ceci crée aussi des disparités dans la qualité des projets présentés, car les participant·e·x·s n’ont pas les mêmes moyens financiers à disposition. Ceci est très problématique face à l’équité dans le cadre d’un prix. Par ailleurs, le FMAC (Fonds d’art contemporain de la Ville de Genève) n’offre pas la possibilité de postuler à un soutien à la création pour cette exposition. Dans le cadre des Prix suisses d’art, l’Office fédéral de la culture donne un montant forfaitaire de CHF 5’000.– aux artistes sélectionné·e·x·s pour le second tour, et le Prix suisse de la performance la somme de CHF 3’000.–. La Ville de Genève doit mettre à disposition un montant pour la réalisation des œuvres et la rémunération des artistes pour l’exposition des Bourses qu’elle organise. 

LA VILLE, LE CANTON ET LES COMMUNES DOIVENT ET PEUVENT AGIR

Dans le domaine de l’art contemporain, la Ville de Genève “soutient les artistes active·if·x·s” ainsi que “la pluralité et le développement des pratiques artistiques, également la scène artistique genevoise au niveau local, national et international. Elle encourage les actions d’accès à la culture et de compréhension de l’art contemporain pour tou·te·x·s.”8 Nous pensons que la Ville de Genève ainsi que le Canton et les Communes, en instaurant de nouvelles mesures dans leurs conditions et règlements favorisant la rémunération systématique des artistes* dans les espaces et institutions d’art ainsi que pour les projets qu’ils subventionnent, pourront pleinement réaliser leur mission de service public dans le domaine de l’art contemporain et ainsi minimiser la précarité à laquelle sont confronté·e·x·s les artistes* à Genève. De cette manière, ces instances pourront réellement garantir un accès à une pratique artistique à tout un chacun·e·x, grâce à une rémunération plus juste du travail artistique, tout en garantissant une production variée, actuelle et de qualité. 

6. The Creative Independent, A study on the financial state of visual artists today, 2018 
7. Suisseculture Sociale, Enquête sur le revenu et la protection sociale des artistes, 2016. L’enquête a couvert tous les domaines (arts visuels, film, photo, littérature, musique, danse et théâtre). En 2017, Johannes M. Hedinger a réalisé une enquête exclusivement auprès d’artistes visuel·le·x·s en Suisse The New Artist. Les résultats étaient tout aussi alarmants. 
8. Convention de subventionnement 2018-2021 entre la Ville de Genève et act-art, p. 5