Fondation LUMA : un reportage sur le weekend d’ouverture


La Fondation Luma, c’est plus de 100 millions d’euros d’argent privé investis par Maja Hoffmann, héritière des laboratoires pharmaceutiques suisses Hoffmann-La Roche, dans un immense complexe artistique et culturel à Arles, une ville de 50.000 habitant·es où le taux de pauvreté plafonne à 24%.

L’ensemble du projet comprend le Parc des Ateliers SNCF, la Tour LUMA — bâtiment de 56 mètres de haut de l’architecte Frank Gehry, plusieurs restaurants gastronomiques et hôtels de luxe regroupés au sein d’une holding de tourisme de luxe — les Maisons d’Arles.

La Fondation Luma fait partie d’un immense empire philanthrocapitaliste implanté dans la région aux côtés de l’Institut de la Tour du Valat et de la Fondation Vincent Van Gogh, deux entités créées par le père de Maja, Luc Hoffmann.

Les 25 & 26 juin derniers avait lieu l’inauguration de cette fondation. Durant ce week-end de festivités, on pouvait croiser quelques happy few du monde de l’art, dans les TGVs comme dans les rues de la ville, venu·es parfois de loin faire un tour de toboggan dans les entrailles de la tour.

Des camarades étaient présent·es sur place pendant le weekend d’inauguration de la fondation et nous proposent un reportage des événements OFF, organisés par les groupes militants locaux, et de ce que l’on pouvait observer dans la ville et sur les réseaux.

Le toboggan à I’intérieur de la Tour LUMA. Image : Stefano Delogu (instagram)
Une affiche de Campus Sauvage devant la Fondation

Vendredi 25 juin

19h Au pied de la tour, le collectif Campus Sauvage avait organisé un spectacle critique à partir de la foire aux questions visible sur le site de LUMA :

— La FAQ de LUMA est à retrouver ici
— Pour en savoir plus sur Campus Sauvage c’est par 

Un jeu de dialogue qui permettait d’apprécier la rhétorique pacificatrice, toxique et aliénante de LUMA en la confrontant à des paroles d’habitant·es.
 


20h

Atelier d’auto-enquête animé par des camarades en lutte des champs des arts autour d’une question commune : À partir des mes expériences personnelles, est-ce que je pense que l’art peut changer le monde ?

“L’objectif de l’auto-enquête est d’enclencher une réflexion à partir de soi-même, de son propre vécu et de ses expériences pour aboutir à une réflexion collective qui permet d’identifier des problématiques (travail, santé, corps, autodétermination, précarité, genre et sexualité, racialisation, etc.) Dans une auto-enquête, on enquête sur nous-mêmes, mais pas d’une façon statistique : on se pose des questions et on y répond en partant de soi.”

— Plus d’explications sur le blog du collectif Burn Out

Très vite les récits à propos des violences vécues en lien avec le monde de l’art se sont enchaînés. Les échanges ont souvent conduit à l’énonciation de positions très critiques à l’égard de l’art tel qu’il se matérialise dans les vies des un·es et des autres, et tel qu’il est subi au quotidien dans les corps par l’exclusion, le mépris de classe ou encore l’exploitation au travail.


L’atelier d’auto-enquête

Samedi 26 juin

10h
Pendant que LUMA ouvrait ses portes au public, des militant·es ont déployé une banderole devant la tour.

13h
Deux autres banderoles ont été accrochées sur les grilles de la fondation.
On pouvait notamment y lire “PÊÊGRE”.

En se promenant autour de la tour, on pouvait apercevoir une drôle d’affiche dans un panneau publicitaire, en fait un habile photomontage : des touristes armé·es de selfie sticks se tirant le portrait devant les Arènes d’Arles, transformées en galerie marchande et surplombées par la Tour Luma.

Sur les enseignes lumineuses de la galerie, on lit :

Découvrez MULA ARLES, et l’appropriation par le privé du patrimoine public” 

MULA Hôtels ******* Airbnb” 

ARLES A VENDRE? À quel prix ?” 

Vivez la gentrification, laissez votre place à plus riche que vous

MULA Sushi


14h
Un RDV était donné devant la tour pour le départ d’un bingo photo.

Seul·e ou en équipe, armé·e de ton appareil photo ou smartphone, viens découvrir la liste des items à capturer. Tu as tout l’après-midi pour photographier l’inauguration sous tous les angles (critiques) et toutes les coutures (subversives). La ville est à toi : même si tu n’es pas autorisé·e à entrer dans le parc, n’oublie pas que les perles rares sont partout dans l’archipel…

le tract du Bingo Photo

20h
Un dîner avait lieu pour l’ouverture de la Fondation LUMA, les riches invité·es pouvaient manger sur le parvis devant la tour, dans l’espace public qui avait été privatisé pour l’occasion.

Plusieurs agent·es de sécurité incendie semblent avoir été réquisitionné·es pour assurer la protection des convives contre d’éventuelles menaces en provenance de l’espace public, présumé hostile aux ultra privilégié·es.

On a aussi pu constater qu’alors même que Luma dispose d’un énorme parc immobilier et de multiples autres espaces luxueux #gentrification, la fondation a préféré organiser ce fastueux dîner à la façon d’un repas de quartier à la bonne franquette, mais auquel les habitant·es du quartier n’auraient pas été convié·es…

Le dîner d’ouverture de la Fondation LUMA

Pendant ce temps, “S-ART-DINADE” sur les Quai du Rhône : barbecue, discussions et rencontres informelles ouvertes à tous·tes autour de la projection des photos récupérées durant l’après-midi bingo photo.

La projection des photos du bingo photos lors de la sardinade


Pendant le weekend, un attrayant recueil de textes & menu critique collectif et anonyme de 140 pages, MANGER LUMA, était à retrouver et à consulter dans divers endroits, bars, étals de marchés, lieux associatifs et librairies.

Documentations a pu se procurer le fichier pdf, les textes sont à lire sans modération.
Vous pouvez aussi consulter le blog des voisins vigilants (de la tour)

En voici l’introduction : 

Mesdames et messieurs,

Bienvenue en gare d’Arles-LUMA-Fondation.

Découvrez cette cité chic et sauvage, joyau de la Rome antique et capitale de la Camargue : entre tradition et modernité, un territoire réhabilité par notre généreuse mécène Maja Hoffmann, avec le concours des laboratoires Hoffmann-La Roche.

Première smart city durable d’Europe, archipel d’art et de culture, Arles-LUMA-Fondation redessine les frontières de l’humanité : les pieds dans l’eau, mais la tête dans les étoiles.

Les citoyens de la fondation Lucas-Marina Hoffmann vous souhaitent une agréable expérience.


Il est actuellement 13h12 heure locale et la température extérieure est de 39 °C.

Le recueil imprimé

Partout dans la ville, on pouvait voir des stickers collés représentant la Tour LUMA, et sa face immergée, la Tour Roche 1 — le plus grand gratte-ciel de Suisse, abritant les laboratoires de Hoffmann-La Roche dont Maja Hoffmann est l’héritière. Iels n’ont pas le vertige dans la famille !

Les stickers-mèmes montrant la Tour Luma et en reflet la Tour suisse Roche 1, avec
inscrit dessus “ART / ARTWASHING / GENTRIFICATION – CAPITALISME – IMPÉRIALISME



Au cours de nos échanges, des camarades Arlésien·nes nous ont montré une collection de mèmes que nous vous repartageons :

Compte instagram @arles_ici_arles

3 mèmes ci-dessus : Groupe Facebook Neurchi de camargue


En longeant le Rhône vers la gare, alors que nous nous apprêtions à quitter la ville, nous avons aperçu un graffiti au sol :

Tag “Luma tue” au bord du Rhône

Depuis que nous sommes parti·es, ce message résonne fortement en nous en lien avec la toute récente inauguration de la Bourse de commerce Pinault Collection, l’ouverture d’une exposition Burberry au Palais de Tokyo, la nomination de Laurent Lebon à la tête du Centre Pompidou, la tentative de passage en force de Bernard Blistène à Kanal et toute la soupe néolibérale-progressiste qui déferle partout dans les press releases ou les discours d’artistes et de commissaires d’expo à succès.

Tout cela nous interpelle : en renflouant le capitalisme tardif, les artistes et les institutions d’art contemporain souhaitent-iels notre mort ?