Monde Nouveaux, ça pue !


Opération séduction, piège à cons ! En novembre 2021, le secteur culturel s’est précipité à l’Élysée afin d’écouter, à coups de champagne et de petits fours, les discours lénifiants du chef de l’État. On se souvient encore des selfies d’artistes et de curateur.ices inondant les réseaux sociaux ; les mines réjouies et éberluées d’avoir été momentanément autorisées à visiter les ors du pouvoir. Ce soir-là, Emmanuel Macron lançait en grande pompe le programme Mondes Nouveaux, appel à projets visant à saupoudrer quelques dizaines de millions d’euros sur les secteurs de la culture – alors même que le ministère de la Culture, comme une peau de chagrin, voyait année après année ses budgets stagner ou diminuer… Évidemment, les calendriers ne sont jamais laissés au hasard : quelques mois avant les élections présidentielles de 2022, ce lancement était l’occasion pour Emmanuel Macron de financer avec de l’argent public une opération de séduction à destination des acteur.ices de la culture dans le cadre de sa propre campagne électorale – en instrumentalisant la précarité que nous, travailleur.euses de l’art, subissons quotidiennement à l’échelle de nos métiers et de nos vies !


Mondes Nouveaux, de quoi parle-t-on ? Réforme des retraites, application de la loi travail, loi séparatisme, loi sécurité globale, loi immigration, réforme du chômage et du RSA… Voici la réalité des mondes nouveaux que ce pouvoir raciste, mafieux et classiste nous impose. Réforme après réforme, les gouvernements s’attaquent aux services publics, aux protections sociales, à nos droits, nos libertés, nos vies et nos écosystèmes en nous précarisant toujours davantage. Malgré ce qu’on nous répète depuis des années, nous savons que ces réformes ne sont ni nécessaires ni incontournables. Elles ne sont que des outils logistiques et répressifs, au service des intérêts capitalistes qui s’approprient et menacent nos existences et nos communs.

Mondes Nouveaux = ENSBA collabo ? Pendant que ce gouvernement, pour maintenir une politique écocidaire, séparatiste et antisociale, entretient un état de guerre permanent à l’encontre de la population, pendant que des policiers mutilent les manifestant.es avec des armes de guerre ou à létalité dite « réduite », pendant que des camarades sont dans le coma, pendant que des journalistes sont arrêté.es et mis.es en garde à vue, pendant que des associations culturelles, militantes, antiracistes, environnementales se font dissoudre au nom de l’ordre républicain, les Beaux-Arts de Paris organisent tranquillement une exposition macroniste en l’honneur du programme Mondes Nouveaux. Drôle de symbole alors qu’au même moment, une vingtaine d’écoles d’art et de création se mobilisent pour lutter contre leur précarisation – voire, pour certaines d’entre elles, contre leur disparition. Confrontées aux mêmes logiques que d’autres secteurs, les écoles d’art et de création subissent les effets d’une crise systémique qui résulte, depuis 25 ans, des orientations néo-libérales de l’enseignement supérieur (uniformisation européenne des accords de Bologne, politiques d’austérité à échelle territoriale et nationale, etc.). Aujourd’hui, les écoles doivent être rentables, attractives, compétitives, internationales et concurrentielles sinon on les laisse crever ! Il semblerait, sans étonnement, que l’école des Beaux-Arts de Paris ait choisi son camp, celui de la force et du mensonge…

Pulsion coloniale. Il arrive parfois que le pouvoir, atteignant un tel degré d’hégémonie et d’impunité, ne prenne même plus la peine de voiler les structures impérialistes qui le sous-tendent. C’est l’un des paramètres du fascisme. En reprenant la terminologie du « Nouveau Monde » employée par les conquistadors pour désigner les territoires qu’ils s’appropriaient par la violence et les populations autochtones qu’ils asservissaient, Emmanuel Macron exhibe fièrement son besoin de conquête du secteur culturel. La seule différence avec le monde d’avant, c’est qu’aujourd’hui les Mondes Nouveaux sont employés au pluriel parce que, tu comprends, la diversité c’est super important ! Et puis ça rappelle le Multivers, donc c’est fun… Rejouant le fantasme colonial de la frontière qu’il faut sans cesse vaincre et repousser, l’exposition, explique le communiqué de presse, « ouvre de nouvelles frontières artistiques et propose un portrait de l’époque : réflexion sur l’urgence climatique, la place de l’individu et le rapport à l’autre, la résonance du passé avec le présent et l’utilisation des savoir-faire anciens, l’identité questionnée… ». Dès lors, que verra-t-on dans l’exposition des Beaux-Arts de Paris à part la complaisance d’un pouvoir qui, profitant de la précarité des travailleur.euses de l’art, instrumentalise le secteur culturel et récupère les discours vaguement progressistes dont celui-ci aime à se parer ? Rien.

Nous, travailleur.euses de l’art, refusons l’aumône de vos appels à projets. Nous ne sommes pas à vendre. Nous luttons pour obtenir des droits sociaux, pas la charité.

Avec de nombreux secteurs de la société, nous luttons ensemble contre la réforme des retraites parce qu’il est impensable que nos existences soient soumises à l’économie de marché. Parce que nous n’avons pas besoin des mondes nouveaux qu’ils nous imposent par des méthodes éprouvées de destruction sociale, nous appelons à l’autodétermination de tous les secteurs, dans les raffineries, les ports, les usines, les exploitations agricoles, les bureaux, les universités, les musées, avec les éboueur.euses, les paysan.nes, les cheminot·es, les chômeur.euses, les exilé·es, les détenu.es, les travailleur·euses du sexe, les lycéen·nes, et tou·tes celleux et ceux qui ont décidé de bloquer le pays. Contre ce gouvernement, soyons ingouvernables !

Les Brigades puantes