Réponse à l’article de Nicolas Bourriaud dans Beaux Arts Magazine


Dans son numéro de septembre dernier, Beaux Arts Magazine publiait une chronique de Mr Nicolas Bourriaud intitulée “Quand les artistes dénigrent l’art” (disponible ici).

Cette chronique est une critique de la tribune “Marseille, art contemporain et culture hors-sol” que j’ai publié sur le site de Lundi Matin en juillet dernier, et toujours consultable ici.


J’ai tenté de contacter à plusieurs reprises la rédaction de Beaux Arts Magazine afin d’y faire publier le droit de réponse qui suit. Tentatives qui, sans surprises, sont toutes restées lettres mortes.

Il me semble néanmoins important, à la suite de ces petites attaques de Mr Nicolas Bourriaud, de re-préciser certaines choses, et de continuer à mettre en lumière quelques unes de ces pratiques nauséabondes de ce monde de l’art contemporain qu’il défend.




“Il faut une profonde méconnaissance de terrain, ou se cantonner à un role d’observateur lointain pour ne pas voir qu’à Marseille, Manifesta est en profonde rupture non seulement avec son territoire, mais aussi avec une grande majorité des artistes qui continuent d’animer activement sa scène artistique locale. Le problème de Dieu, m’a longtemps répété un immense pilier de bar à qui je dois beaucoup, c’est qu’il se prend pour moi.

Comment est-il encore possible de s’enorgueillir d’avoir la puissance de dépenser des millions d’euros dans des quartiers de misère, tout en se targuant de n’avoir absolument rien changé pour les habitants de ces quartiers ? Ni dupes ni aveugles, ce que vous prenez pour une réaction paranoïaque n’est en fait que l’expression d’un mépris profond prononcé à l’égard de ce type d’agissement que tout le monde voit et comprend très bien.

J’entends bien que vous tentiez de contourner ce vieux poncif de « l’utilité de l’art », parce qu’en effet quand y regarde, rien de beau à voir. Car à Marseille, il n’arrive pas que l’installation d’artistes « soit parfois vu d’un très bon oeil de la part des promoteurs ». Ce système est devenu absolument systématique dans des quartiers préemptés en totalité, et fait parti intégrante des stratégies de développement et d’expropriation. Ici, si l’art « sert » aujourd’hui à quelque chose, c’est évidemment aux bénéfices d’opérations financières, aux bénéfices de capitaux, aux bénéfices du monde privé, d’abord. De fait, et vous m’avez vite lu, je ne me targue d’aucun acquis social pour dénoncer ceux qui en sont injustement exclus, je tente au contraire d’expliquer pourquoi les artistes  – dont je suis, car je ne suis pas intermittent  – en sont, justement, exclus.

Plus choquant il me semble, la facilité avec laquelle vous vous permettez de juger et de mettre à équivalence les luttes d’émancipations des femmes, des noir·e·s ou encore des communautés LGBTQIA+ aux petites luttes politiques qui opposent vos théories au monde du théâtre subventionné. Ces luttes n’ont strictement rien à voir. Nous parlons de vie et de mort d’un coté et de caisses de retraites de l’autre. Un peu de décence s’impose donc.

Jacques Chirac / Jean-Marie Le Pen, second tour de l’élection présidentielle de 2002, j’avais seize ans. Mesurez maintenant ces vingt-et-une années qui nous sépare, et dites vous alors que ma génération n’a jamais pu aller voter sans qu’on lui parle d’un certain « front républicain », sans qu’on lui serve cette soupe tiède qui vous sert aujourd’hui d’argument, celle qui par ailleurs vous permet de tout mettre dans le même sac d’un geste autoritaire. Ce sont ces gestes qui nous ont mené politiquement là où nous en sommes aujourd’hui. Le spectre de la division que vous agitez comme un vieux militant du Parti Socialiste, et dont nous pouvons vingt ans plus tard faire le constat qu’il n’aura servi qu’à une seule chose (et qui n’est certainement pas l’affaiblissement du Front National) : faire avaler la couleuvre d’un libéralisme sauvage, pas moins autoritaire, excluant et fascisant que les idéologies frontistes.

Il semble manifeste que vous n’avez aucune idée des sphères dans lesquelles moi et mes compagnons évoluons (lundi.am site marseillais, vraiment ?) Ni même de la manière dont nous procédons. Nos liens de solidarité se renforcent de jour en jour, et les luttes d’émancipations auxquels nous participons se connaissent très bien, puisqu’elles n’ont de cesse de se connecter entre elles, de grandir ensemble, de se redéfinir à différentes échelles.

A mon tour alors de vous rassurer : Nous ne travaillons pas à l’éclatement de la société mais à la reconstructions de liens et de sens vitaux, au travers de différentes pratiques et manières d’exister que ce monde que vous protégez consume ou écrase.

Que cette activité échappe encore à votre radar nous assure la liberté de la pratiquer, et visiblement nous avons encore vingt-et-une belles années devant nous, au moins.”

When Faith Moves Mountains (Cuando la fe mueve montañas) Lima 2002
Francis Alÿs en collaboration avec Cuauhtémoc Medina et Rafael Ortega.




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