Autoritarisme, liberté de création et QR code aux Beaux-Arts de Paris


Théâtre des expositions

Dans les salles du Palais des Beaux-arts, les chefs-d’œuvre du patrimoine des Beaux-Arts de Paris et les créations des jeunes artistes de l’École et de leurs professeurs sont réunis dans [des] expositions de courte durée. 4 à 6 jeunes commissaires en résidence de la filière « Artistes & Métiers de l’exposition », guidés par les conservateurs, théoriciens, professeurs et équipes de l’École travaillent auprès du service des expositions et sont principalement en charge de [la programmation] du Théâtre des expositions.


« Un concept fou et innovant possible uniquement avec la richesse et la passion de ses étudiants de la nouvelle filière, [pour] se former à la production, à la régie, à la scénographie ou à la médiation afin de présenter et de diffuser l’art. » explique ce lanceur d’idées [Jean de Loisy, directeur], heureux de se confronter à celles des jeunes générations.

Les coulisses

Ce même lanceur d’idées a recruté à la tête de cette filière Mélanie Bouteloup, ancienne directrice de l’association Bétonsalon, à ce jour encore poursuivie aux prud’hommes pour sa gestion managériale ayant poussé de nombreuxses salarié·e·s au burnout.

Cette nomination n’a pas été précédée d’un dialogue ouvert, ce qui aurait pu être attendu compte tenu du contexte entourant la nouvelle responsable. Les résident·es ont compris que leur voix ne seraient pas entendues, voire condamnées.

Début novembre, une partie d’entre elleux a voulu adresser les problématiques structurelles en lien avec la filière, exacerbées par la crainte de son arrivée en poste. Suite à la parution d’un article dans “Libération” titré “Polémique – Aux Beaux-Arts de Paris, «la nomination de Mélanie Bouteloup est grave symboliquement» “, s’acte le début d’une crise interne.

Avant même la sortie de l’article, le directeur contacte après minuit par SMS et en appel FaceTime deux commissaires de la filière pour une convocation le matin qui suit. Lorsqu’elles en demandent le motif il dit regretter qu’elles ne soient pas venues lui faire part de leurs questionnements et préférer parler à la presse plutôt qu’à lui.

Celles-ci, en fin de résidence, organisent une exposition dans le Palais des Beaux-arts qui se tient du 8 décembre au 8 janvier, sous la forme d’un fanzine, avec des propositions de plusieurs artistes.
L’un·e de ces artistes nous a contacté le 26 novembre, pour nous expliquer sa situation anxiogène à voir son travail menacé. Iel nous a demandé de relayer sa proposition et son contexte.

Une gestion de crise en plusieurs actes

Ultra F. Le Meme, artiste sous pseudo, invité·e par les deux commissaires, voulait publier une œuvre mettant en lien des informations qui ont pour la plupart déjà été diffusées dans les médias et quelques pistes de dépassement critiques. Iel craint que ça se passe mal pour les commissaires étant donné les rapports de force qu’elles lui évoquent. Iel décide de censurer en amont sa proposition, en laissant en seule page lisible un accès à son Instagram, où l’artiste aurait pu publier des memes sur le contexte de l’école.

– 14/11 Le bon-à-tirer est envoyé, sans que soit donné le contact de l’imprimeur·se aux curatrices malgré leurs demandes

– 24/11 : L’école leur demande par mail une “version lisible” de la proposition d’Ultra F. Le Meme.

– 25/11 : L’école leur demande par mail le contenu du “code barre » (sic)

– 26/11 : Une réunion annoncée le matin-même est demandée avec les curatrices, la nouvelle responsable de la filière et son équipe.

La réunion d’urgence tourne autour du QR code et de la page Instagram @ultraflememe (considérés comme “l’œuvre”, oubliant toutes les autres pages), et de sa censure, sans jamais employer le terme. L’école exige une désanonymisation d’Ultra F. Le Memequi devrait décliner son identité en signant un contrat inédit dans sa dérive autoritaire “aux engagements forts”, comme la demande de “désactiver le compte dans les 2 jours ouvrés qui suivent la fin de l’Exposition” et se réserver le droit de sa suspension en cas de problème.

Ce traitement se veut distinct des autres artistes de l’exposition par l’éventualité de la diffusion d’un propos qui pourrait “porter atteinte à l’honneur et à la réputation des Beaux-Arts de Paris ou de leurs Partenaires”

La direction traduit sa position dominante de fait en une relation de droit par le biais de ce contrat. Au régime particulièrement lourd de restriction de la liberté d’expression, le contrat est rédigé le vendredi après-midi même et envoyé en début de soirée, à faire signer dans les 48h du weekend pour le lundi matin 10h.

La pièce dans la pièce

Cette surprenante présomption quant à la tenue d’un propos litigieux afin de mieux museler la parole d’un·e artiste lève ainsi le voile sur l’état de panique au sein de l’institution pédagogique à l’égard de l’expression d’une parole libre et non contrôlée. Le contrat de cession de droit d’auteur, qui n’en porte que le nom, comprend en fait une clause de non-divulgation de toute information troublante ou « revendications » qui viendraient mettre en question le récit des Beaux-arts sur eux-mêmes alors même que les contestations émergent au sein de l’école et ailleurs.

La menace d’une voie de droit est bel et bien formulée, la promesse de l’expression d’une parole artistique et politique libre, elle, est condamnée.

Les commissaires et l’artiste se sont retrouvé·es forcé·es, si le contrat n’était pas signé, à censurer par une page blanche la page du QR code. Tout cela pour ne pas mettre en péril le travail fourni par les autres artistes invité·es, et ce dans des délais extrêmement courts, sans pouvoir rémunérer les graphistes du fanzine pour cette prestation supplémentaire.

Épilogue

Une autre exposition du Théâtre met des QR codes comme seule voie d’accès aux œuvres, dont le contenu n’était pas encore vérifiable avant le vernissage. Selon nos sources, les œuvres ne sont pas contraintes par un contrat similaire à celui d’Ultra F. le Meme.

L’école demande aussi aux commissaires en amont le contenu des interventions qu’elles souhaitent programmer pour éviter toute “mauvaise surprise”. On parle d’une soirée dédiée à la publication d’un ouvrage sur les violences sexistes et sexuelles, notamment dans le cadre des écoles d’art. Sans commentaire.

Nous avons donc souhaité partager avec vous l’œuvre artistique d’Ultra F. le Meme dans sa version non censurée par les divers mécanismes de domination de fait ou de droit déployés par l’institution que vous pouvez consulter ici :

Bonne Lecture !