[GILETS JAUNES] Les agents de la Culture lancent leur appel à l’indolence.


ARTISTES, CITOYEN.NES PARMI LES CITOYEN.NES

Une tribune en date du 11 janvier 2019 intitulée “ARTISTES, CITOYEN.NES PARMI LES CITOYEN.NES”  pose la question de l’engagement et de ses modes d’actions dans les milieux de la culture institutionnelle. @zizia-cyke contributeur à documentations revient sur cet appel  qui révèle l’ampleur du décalage qui sépare les agents de la culture officielle lourdement mis à l’épreuve par l’inventivité du mouvement des gilets jaunes et le monde social.

Parlons de ce texte paru sur Médiapart, d’une part parce qu’il me tombe des mains et parce qu’il est symptomatique de ce qui recule, stagne et pourri.

Nous assistons ici à un léger mouvement, sursaut qui dans une mollesse étonnante s’indigne et appelle à un rassemblement imaginaire : disons de façade. Ça ne coûte rien, c’est simple, vague et ça réconforte. Précieux rattrapage au vol qu’il faudra conserver pour montrer aux générations futures avec quel courage les artistes auteur·e·s de notre temps luttaient.


Passons rapidement de paragraphe en paragraphe : 

  • 2019 donc et toujours cette très intéressante “convergence des luttes” , ce mystérieux carrefour où se retrouvent hagard·es les lutteur·euse·s de tous horizons, sans oublier les personnes engagées politiquement. Ce texte relève avec évidence que les « gens sont seuls devant leur télévision » et qu’il·elle·s ont des manières différentes d’appréhender ce qui se trame. Tout comme les milieux culturels qui font émerger « simultanément des silences gênés » – parfois même « des condamnations morales ». Heureusement il·elle·s sont vigilant·e·s quant aux récupérations des extrêmes et des abstentionnistes.
  • Un petit laïus sur « il faut bien payer le loyer » qui est tout à fait bien senti et à propos. 
  • Il·elle·s parient sur « l’orientation progressiste du mouvement ». Je croyais la pensée du progrès enterrée. 
  • « Avec un esprit de partage démocratique », « préserver la biodiversité et un mode de vie pacifique ». Sans commentaires.
  • Je note aussi cette amusante syllepse bien envoyée :  « Quand tout sera privé, nous serons privés de tout ! ».

En sortant de ces poncifs, allons j’en énumère d’autres :

Eux·lles « artistes et collectifs d’artistes, commissaires d’exposition, auteurs et critiques d’art, historiennes et historiens de l’art, médiatrices et médiateurs culturels, professeurs d’art » font le vœu que l’État cesse son désengagement et sa logique de privatisation de la culture. Que celui qui n’a jamais touché d’argent du privé leur jettent la première pierre, je suis de tout cœur avec eux·elles·s. 


En tout cas, il·elle·s sont résolu·e·s et ce n’est pas rien, jugez du peu :

On commence par un classique croche–pied à la marchandisation de l’art, s’en suit un petit clin d’œil bien senti à Debord, paix à son âme. Arrive ensuite en bonne position, mais un peu de manière impromptue la « laïcité », suivie de près par « le respect des différences et la lutte contre les discriminations ». Nous passons ensuite au cœur, la partie la plus « engagée politiquement » qui frôle la violence et la rébellion, les 300 sont prêt·e·s sinon résolu·e·s « à déjouer tout type d’effondrement qu’il soit climatique, écologique et surtout étatique », grammaticalement, ils sont donc contre l’effondrement de l’État, mais je présume qu’il·elle·s n’ont pas fait d’erreurs. S’en suit des divagations sur la « fragilité, la nouvelle alliance », sur le fait qu’il faille « inventer et pas tant résister » mais il·elle·s promettent quand même de faire plus attention au vivant. Il·elle·s sont prêt·e·s à tout, sinon résolu·e·s, à inventer de « nouvelles solidarités transversales » tout ça grâce à l’entraide et au « trait d’union ». 


Pour finir dans une phosphorique conclusion il·elle·s veulent engager « le combat d’une créativité partagée » et surtout il·elle·s veulent prendre part – n’oublions pas que l’important, c’est de participer – à la « REVITALISATION DE LA DÉMOCRATIE ».

Un texte de modéré·e·s signé par ceux·elles là même qui entretiennent le statu quo à Paris et partout en France, qui permettent que rien ne change, qui s’accommodent et s’arrangent avec le réel, qui savent courber le dos en s’indignant, qui savent tendre la main pour recevoir de quoi « payer le loyer » et qui connaissent le sens du vent. Je ne suis pas innocent·e·s, j’ai moi aussi participé en tant qu’artistes–auteur·e au jeu de l’art, mais je suis fatigué·e de voir les mêmes règles appliquées, la même idéologie rôder en bruit de fond, une dissolution de toute contestation, un amoindrissement des mots et de la parole, un fatalisme latent. 

Ce texte se lit comme un texte d’exposition, un assemblage aléatoire de concepts vagues et intransitifs, il est symptomatique de ce qu’il faut changer rapidement. Si le lieu de l’art n’a pas été jusqu’à présent le lieu des revendications politiques, mais plutôt celui des effets d’annonces, il est aujourd’hui urgent de le repenser comme un espace qui permet la création de pensées, qui pose la question de sa propre idéologie et de sa place dans la société. S’engager aujourd’hui comme communauté identifiée alors que nous ne partageons seulement que quelques références me semble hâtif. Chacun·e avec nos communautés choisies, il nous faudrait peut–être commencer à se désengager de la continuité, faire usage de violences s’il en faut et de défiance, car « nous n’avons pas peur des ruines » 1 . L’art n’étant que le lieu de médiatisation des gestes, il faut l’utiliser comme tel, décortiquer dans la parole et l’occupation des espaces ce qui est préoccupant : le pouvoir, les situations d’ingérences, le mépris de l’intellect et inversement le mépris de certain·e·s intellectuelles, l’institutionnalisation, la solidarité effective qui ne soit pas juste un geste de pitié…

Il est étonnant que je m’étonne que ceux·elles des milieux culturels s’engagent, surement parce qu’au fond, je connais la ritournelle, ça suit le sens du vent ou ça part en Amérique.

@zizia-cyke

“We, the workers, can build others to take their place, and better ones! We are not in the least afraid of ruins. We are going to inherit the earth, there is not the slightest doubt about that. The bourgeoisie might blast and ruin its own world before it leaves the stage of history. We carry a new world, here, in our hearts. That world is growing this minute.”
Buenaventura Durruti, Joe King, extrait le 1er Janvier 2005, www.cat.org.au
https://theanarchistlibrary.org/library/joe-king-buenaventura-durruti