L’hôtel Meurice suspend son prix pour l’art contemporain. 


Chers Tous,

Compte tenu du contexte actuel, je tiens à vous écrire aujourd’hui pour vous faire part de ma décision de suspendre le Prix Meurice pour l’art contemporain, et partage avec vous le communiqué suivant :

« Le Meurice est très attaché à respecter les convictions des artistes qu’il soutient depuis de longues années, et suspend donc l’attribution de son Prix pour l’art contemporain.

D’un commun accord avec les membres du Jury, Franka Holtmann, Directeur Général de l’hôtel, a pris cette décision malgré l’intérêt profond et sincère qu’elle a toujours porté aux artistes, galeries, et personnalités du monde de l’art qui ont fait grandir le Prix Meurice pour l’art contemporain depuis 2008. »

Cette décision me semble être la plus raisonnable, bien que je la prenne à mon plus grand regret.

Très sincèrement,
Franka Holtmann


Mercredi 10 avril 2019 un petit groupe réunissant des artistes et des commissaires d’exposition, a sollicité artistes et galeristes dans un appel à témoignages et prises de positions afin d’obtenir la suspension du Prix Meurice pour l’art contemporain, dont l’hôtel du même nom appartient au Sultan du Brunei. Seulement quelques jours après le début de cette initiative, l’hôtel Meurice, par la voix de sa directrice Franka Holtmann, a fait connaître sa décision de suspendre le Prix Meurice pour l’art contemporain. Cet événement sans précédent en France est un exemple puissant venant confirmer à quel point les institutions sont très précautionneuses s’agissant de leur image publique et nous permet de mieux penser les modes d’actions pour des luttes futures. Pour toutes ces raisons nous souhaitions partager avec vous  le récit par les auteur.e.s de cette initiative, Virgile Fraisse et Georgia René-Worms. 


E-mail envoyé le 10 avril 2019 a 31 galeries et 17 artistes
Depuis une dizaine de jours, l’hôtel Le Meurice nous empêchait de dormir. Le 3 avril 2019 est entré en vigueur au Brunei la dernière phase du nouveau Code pénal de la charia. Celui-ci impose notamment la peine de mort par lapidation pour les rapports homosexuels et relations sexuelles extraconjugales, la flagellation publique pour les interruptions volontaires de grossesse et l’amputation d’une main pour le vol.

Face à la mise en vigueur de ce texte, de nombreuses personnalités publiques, Organisation des Nations Unies, communautés LGBTQIA+ et tant d’autres avaient appelé à se mobiliser à boycotter les établissements de luxe détenus par le sultan. Il nous paraissait important que la communauté artistique prenne elle aussi position. Dans l’état actuel des politiques du sultanat de Brunei il nous semblait inconcevable que le monde de l’art continue à travailler, collaborer, avec l’hôtel Le Meurice.

La date de dépôt des dossiers pour la 12ème édition du Prix Meurice pour l’art contemporain 2019/2020 était fixée au 19 avril. C’est dans cette urgence que nous avons pris contact anonymement depuis la boite mail Meurice 4 Stoning avec la totalité des galeries ayant concouru, soit 31 candidatures depuis 2013 – date à laquelle la situation du Brunei est connue de tous. 


Sur ces 31 galeries, 5 nous ont répondues pour connaître notre identité, identité que nous leurs avons présenté en indiquant que la signature anonyme permettait aussi une ouverture de dialogue. Sur ces 5 galeries deux ont sollicité un rendez-vous afin de discuter et de nous exposer leurs points de vue. 17 artistes en tout ont été contactés, 4 ont répondu, et sur ces 4 personnes, 2 ont proposé de témoigner directement. 

En sollicitant artistes, critiques, commissaires d’exposition, galeristes, directeurs d’institutions, nous souhaitions mettre en évidence les contradictions inhérentes au devenir du Prix Meurice. Comment pourrions-nous continuer de défendre un programme progressiste : féministe, queer, anti-raciste, pluriel et servir de maquillage, de pommade, à un sultan assassin. Le Prix Meurice, destiné chaque année à un jeune artiste, à la construction de son futur individuel et collectif, ne devait plus être financé par l’argent d’un état répressif. 

En lançant cet appel nous souhaitions souligner que notre démarche était antiraciste et que nous refusions toute forme de récupération de notre lutte à des fins islamophobes. 

En fédérant un engagement autour d’un texte porté par une grande partie de la communauté de l’art contemporain et des acteurs du Prix Meurice, il nous semblait intéressant que l’article 10 stipulant que « Le Meurice se réserve le droit de proroger, d’écourter ou d’annuler le présent Prix Meurice pour l’art contemporain si les circonstances l’exigent ; sa responsabilité ne saurait être engagée de ce fait, (…) » soit appliqué.


Dès mercredi nous avions prévenue Claire Moulène, Conseillère artistique pour Le Meurice, de notre initiative. Elle nous avait indiqué qu’ils étaient actuellement en train d’échanger à ce sujet avec le Meurice et les membres du jury. Le communiqué envoyé en cette fin d’après-midi par la direction de l’hôtel Meurice montre que les décisions convergent vers des prises de conscience pour une économie de l’art plus éthique et qu’il n’est plus possible aujourd’hui d’utiliser les artistes comme un vernis culturel.

Bien que cette décision des organisateurs soit extrêmement louable nous restons stupéfaits qu’elle arrive si tardivement soit 6 ans après les premières annonces du sultan. Ce silence inquiétant fait écho à la difficile position des artistes quant à leur dépendance financière de systèmes dont ils ne sont pas forcément politiquement solidaires. 

Virgile Fraisse et Georgia René-Worms



Liens externes

Human Rights Watch
Brunei : Le nouveau Code pénal impose des peines de lapidation et d’amputation
03.04.2019 (Français)

Reuters
Oil kingdom Brunei to introduce sharia criminal law
22.10.2013 (Anglais)