Nouvelle offensive contre l’expression du soutien à la Palestine


Bonne nouvelle : une collectionneuse, “mécène et philanthrope” d’extrême droite démissionne du conseil d’administration du Palais de Tokyo.

Mauvaise nouvelle : sa lettre de démission, affichant un argumentaire liberticide et mensonger, récolte plus de 13 000 likes. 

Or qu’est ce que cette collectionneuse reproche exactement au Palais de Tokyo ?

Globalement d’être « woke » (sans commentaire sur l’emploi de ce mot repris par tou·te·s les réactionnaire à travers le monde, qui ne veut strictement rien dire,), « anti-capitaliste » (ça nous fait doucement rigoler quand on voit la liste des mécènes du Palais, mais ce n’est pas le sujet ici), et surtout pro-Palestine.

Car en effet « la goutte d’eau » pour cette collectionneuse qui s’affiche sur son compte Instagram comme une « fière sioniste », est une exposition, « Passé Inquiet : Musées, Exil et Solidarité » commissariée par Kristine Khouri et Rasha Salti et présentée actuellement dans les murs de l’institution parisienne. 

Nous reprenons ses propos relayés par les médias d’extrême droite (Valeurs Actuelles, Boulevard Voltaire) et dans un article de Transfuge paru le 6 mai et intitulé « Soutien de Transfuge à la collectionneuse Sandra Hegedüs qui retire son financement au Palais de Tokyo» : 

« La dernière exposition sur la Palestine […] proposait, sans mise en perspective, des points de vue biaisés et mensongers sur l’histoire de ce conflit, donnant la parole, sans contradiction, à des propos racistes, violents et antisémites »

→ Ladite exposition ne porte pas sur la Palestine à proprement parler mais plus généralement sur les engagements de certain·es artistes dans les mouvements de luttes anti-impérialistes en Afrique du Sud, Chili, Nicaragua et Palestine.

« “Vous vous rendez compte ? Tout cela après le 7 octobre !” nous confie-t-elle au téléphone en nous parlant de brochures aux propos ouvertement propagandistes insérées dans cette exposition sur lesquelles on peut lire, par exemple, en regard d’une illustration enfantine montrant un char d’assaut : “Who is enemy of the Palestinian ? The enemy of the Palestinian is he who occupied the home of the Palestinian”.»

→ Pour Sandra Hegedüs, qu’un peuple colonisé désigne son colonisateur comme un ennemi relèverait du racisme et de l’antisémitisme. L’argumentaire est bien faible, tout soutien au peuple palestinien et à son combat pour l’indépendance semble apparaître ainsi comme raciste et antisémite. 

Pour rappel, la situation en cours en Palestine a été matériellement caractérisée depuis des décennies comme une situation coloniale. Aujourd’hui, la situation à Gaza relève du génocide selon les juridictions internationales et de nombreuses organisations non gouvernementales. Affirmer le contraire sans aucune preuve matérielle relève d’une opération de falsification de la réalité visant à justifier l’élimination organisée du peuple palestinien de la bande de Gaza.

Le torchon publié par Transfuge continue plus loin : 

« Elle n’est en effet pas la seule à déplorer depuis quelque temps le filtre réducteur et idéologique du Palais de Tokyo qui s’incarne sur le compte Instagram d’un de ses commissaires d’exposition, François Piron, dont le visuel du profil n’est autre que « Stop the genocide ». Peut-on accepter cela d’un représentant de l’institution culturelle publique ? Plusieurs personnalités du monde de l’art, jointes par téléphone, me disent être très choquées par cet affichage politique […]. »

Petits rappels factuels :

  1. Le Palais de Tokyo est une association de droit privé, ses employé·e·s ne sont pas fonctionnaires et ne sont pas soumi·se·s au devoir de réserve. Iels ont le droit de s’exprimer comme bon leur semble dans la limite de la loi sur la liberté d’expression sur les questions politiques qui les animent.
  2. Ces « personnalités du monde de l’art » choquées par « l’affichage politique » de soutien à la Palestine, se sont-elles élevées contre les commissaires d’exposition affichant leur soutien au peuple ukrainien ? C’était pourtant là aussi un soutien politique. Mais non. Ce qui dérange ici n’est pas que François Piron prenne position politiquement, c’est que sa position diffère de celle que cette collectionneuse défend toute la journée sur son compte Instagram. 

Dans son article, Transfuge loue les actions philanthropiques de cette collectionneuse : 

« […] Sandra Hegedüs […] soutient financièrement à titre privé [le Palais de Tokyo] depuis 15 ans. « Plusieurs centaines de milliers d’euros depuis 2010 pour financer en moyenne 3 expositions par an au Palais à une époque » nous détaille-t-elle, en soulignant sa forte implication à travers la création de son prix d’art contemporain, SAM Art Projects, qu’elle a fondé en 2009 et finance entièrement et qui a donné lieu à plusieurs expositions dans l’enceinte de l’institution parisienne. »

→ Rappelons qu’en France, chaque action de mécénat ouvre le droit à une déduction fiscale de 60% et à de nombreuses contreparties matérielles et symboliques de la part des institutions culturelles. De plus, selon nos sources et un article (« La démission fracassante de Sandra Hegedüs des Amis du Palais de Tokyo crée la polémique, sur fond de conflit israélo-palestinien») de Claire Moulène publié dans Libération, ces actions de mécénats, prennaient avant tout la forme de l’accueil, au Palais, des expositions des lauréat·es du prix créé par Sandra Hegedüs. Or, le centre d’art complétait les budgets des expositions et apportait ses compétences propres (commissaires d’exposition, communication, régie etc.). De plus, la « philanthrope » récupérait a posteriori également un pourcentage sur la vente des pièces réalisées par les artistes Nous sommes donc loin (comme toujours ?) d’un mécénat pur et désintéressé. 

Aujourd’hui, Documentations apporte son soutien aux travailleureuses du Palais de Tokyo et aux commissaires de l’exposition mises en cause dans le communiqué de Sandra Hegedüs et l’article publié par Transfuge.

Demain, on invite ces équipes et ces commissaires à se questionner sur qui iels font rentrer dans leur conseil d’administration et avec qui iels nouent des partenariats.

Considérer Sandra Hegedüs comme un cas isolé serait une erreur car ses positionnements résultent d’un système, d’oppressions et de violences, tenu par une classe bourgeoise à laquelle elle appartient. C’est cette même classe que l’on retrouve à la tête des institutions et/ou aux financements de celles-ci. 

À l’heure où le gouvernement israélien poursuit le génocide palestinien à Rafah, il est urgent de faire front contre celleux qui laissent faire et applaudissent.

Appelons à la démission de Sandra Hegedus de la présidence du conseil d’administration de la Villa Arson.

Massifions la campagne BDS (lien vers article docu + lien vers site BDS), rejoignons les rassemblements pour la Palestine.

Tournons nos yeux vers Rafah.

Et cela rappelle directement les mots publiés le mois dernier par Frédéric Lordon sur son blog :

« Comment se fait-il en effet que la bourgeoisie de pouvoir soit ici dégondée comme elle ne le serait même pas à propos de fiscalité ou de temps de travail ? […] les bourgeoisies occidentales sont viscéralement du côté d’Israël. Les bourgeoisies occidentales considèrent que la situation d’Israël est intimement liée à la leur, liaison imaginaire, à demi-consciente qui, bien plus qu’à de simples affinités sociologiques […] doit souterrainement à un principe de double sympathie, lui parfaitement inavouable : sympathie pour la domination, sympathie pour le racisme — qui est peut-être la forme la plus pure de la domination, donc la plus excitante pour les dominants.»

Cette séquence nous fait également penser aux mots de Louisa Yousfi citant Youssef Boussoumah, historien et militant pour la Palestine : 

“ la Palestine est un sérum de vérité, le plus implacable de tous. Devant elle, tous les menteurs, hypocrites, faux alliés sont démasqués. Tous les faux clivages idéologiques et politiques mêlés et entremêlés en des nœuds savamment sophistiqués sont défaits et les vrais reprennent leur consistance et leur clarté. Tu veux savoir de quel côté de l’histoire est cet homme ? Demande-lui ce qu’il pense du “conflit israélo-palestinien”. Ça ne trompe jamais. Même son silence est d’une saisissante éloquence. C’est que la Palestine prend à témoin le monde entier. » (https://www.hors-serie.net/Dans-le-Texte/2023-11-18/La-preuve-par-la-Palestine-id565 “La preuve par la Palestine”, 2024)