Un ancien étudiant en école d’art raconte son expérience de stagiaire auprès de l’artiste Michel Francois il y a quelques années. Ce récit a été diffusé une première fois dans l’émission L’eau à la butch du 4 juillet 2020 sur Radio Galoche ( à partir de 18’50). Pour Documentations, c’est à lire ou écouter.
L’histoire se déroulerait dans une ville. Cette ville serait sans nom et couverte d’un ciel moite, sous un ciel moite, dans un atelier, dans une galerie, dans une maison. Les personnages passeraient 3 mois ensemble.
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Le vent serait froid et le ciel pluvieux sous une chape hivernale.
C’est la luminosité qu’il préfère. Il marche et prend de grandes inspirations à mesure qu’il accélère. Il sera en retard. Les tempes humides.
Il arrive devant une grande porte noire. Peut-être est-elle marron, mais il ne s’en souvient pas. Il sonne à l’interphone et la porte s’ouvre. Il pénètre dans une cour intérieure à peine rectangulaire. Elle mène au hall de l’atelier. Il pousse une deuxième porte, plus étroite, en verre et s’étonne que personne ne soit là pour l’accueillir.
Le hall soupire de murmures.
Il se laisse guider par les sons, traverse une troisième porte et flâne parmi le sculptures entreposées coiffées de papier bulle ou jonchant vulgairement le sol. La salle est blanche comme suspendue dans l’éclat gris du ciel. Ses yeux le piquent.
Il entre dans l’atelier. Le sol est constellé de gouttelettes de plâtre dures comme du pain concassé. Il respire une forte odeur de poussière. D’un pas tranquille, il rejoint les corps des voix flottantes, les salue et se présente. Pour déjeuner, ils rejoignent l’appartement de Michel. La cuisine est moderne, ouverte sur la salle. La table domine la pièce : elle est longue, de la taille d’un chêne adulte. Alors qu’il s’assied, il surprend un regard entre les marches de l’escalier ; il apprendra bientôt que Michel emploie deux femmes de ménage pour prendre soin de son intérieur. Michel les rejoint pour déjeuner. Ils se sont déjà vus, Michel l’a oublié.
L’après-midi défile. Michel leur fait une visite et décrit ses techniques. À la nuit tombée, Michel discute avec son assistante. Il les entend parler de rémunération et de conditions de travail avant d’intervenir timidement pour parler de son salaire. Michel semble froissé et lui fait comprendre que ce n’est pas le moment ; il sait pourtant que les moments se créent. Personne ne l’attendra. Alors il lance d’une traite qu’il a du mal à trouver à se loger et que les ami.e.s qui l’hébergent ne peuvent l’accueillir que temporairement. Il ajoute qu’il n’a pas les moyens d’assurer deux loyers, parce que ce stage n’est pas sa vie, ni sa ville. Il tente d’amener Michel à revaloriser son salaire. 400 euros, ce n’est pas assez. Michel fait les gros yeux. Il comprend alors que Michel n’aime pas être pris dans ces questions sous l’œil d’un témoin puisqu’il souffle et répond avec lassitude qu’il n’a pas beaucoup d’argent et que tout est affaire de transmissions de savoirs et d’expériences. Lui n’est pas très emballé. Michel ajoute que l’argent ne fait pas tout avant de conclure qu’il peut prêter son canapé pour quelques jours, pour dépanner.
Le ciel serait noir.
Sur le chemin du retour, il se dit à lui-même que les choses se compliquent en décidant que s’il ne trouve rien, il passera d’ami.e.s en ami.e.s, de canapé en canapé.
Les journées passent et le rythme de travail s’intensifie, il le sent dans ses muscles. Le travail est en moyenne de 8 à 10h par jour. Il ne compte plus les samedi perdus. En faisant un rapide calcul, il s’aperçoit très vite de la précarité de sa situation. Et même s’il s’en doutait, il regrette que Michel n’assure pas, au moins en partie, les dépenses quotidiennes des repas du midi et celles des transports en commun pour se rendre à son atelier. Tout ça le pique un peu.
La ville découperait sa chambre de jaune à travers les persiennes. Le sommeil serait léger, il serait fatigué.
Le lendemain, il décide d’ouvrir des négociations pour obtenir un deuxième jour de repos dans la semaine. Michel finit par accepter. Le surlendemain, on quittera l’atelier pour la galerie. La production est finie ; le montage à venir. Les soirées s’allongeront autant que la distance.
La galerie serait emplie de soleil. Quartier de verre, de portes cochères et de bureaux. La ville disparaîtrait dans l’intimité des cours intérieures.
Le montage se termine, Michel n’a plus besoin de nos mains alliées. Il lance une invitation et convie l’équipe pour une dernière soirée. Sur la route, lui pense aux écoles d’art et à leur manière de promouvoir le travail gratuit et l’exploitation des étudiant.e.s. Assis à table, les vapeurs d’alcool aidant, il discute avec Michel des différends qui les ont partagés. Les idées se dispersent, s’égarent avant de s’épuiser dans la confusion – Babel à deux heures.
La soirée touchant à sa fin, Michel me regarde avant de me prendre la main. La paume ouverte, je distingue trois cacahuètes en bronze. Michel dit merci pour tout et je dis merci à mon tour.
Ces cacahuètes sont les résidus d’une sculpture réalisée par Michel François. Leurs tintements dorés et leurs hanches arrondies rappellent étrangement les singes danseurs du Moyen-âge. Cette fois-ci, Michel est passé sans payer. Si c’était à refaire, je demanderai un bon pour un salaire décent.