Dans ce texte deux artistes nous expliquent les raisons de leur retrait de l’exposition A spoonful of sugar organisée par le collectif Diamètre qui ouvre ce soir dans les locaux de Jeune Création sur le site Komunuma de la Fondation Fiminco. II.elle.s reviennent sur l’importance de l’action menée samedi dernier par les participant.e.s à la 69ème édition Jeune Création conjointement avec Art en grève Paris, qui selon eux.lles, ouvre la voie à des prises de position plus directes et rend possibile de nouvelles stratégies de défense contre les institutions culturelles.
POURQUOI NOUS N’EXPOSONS PAS À KOMUNUMA1
Samedi 25 janvier 2020, des artistes participant.e.s à la 69e édition Jeune Création ont pris la parole pour dénoncer la précarité de leur conditions de travail et exprimer leur malaise vis-à-vis du partenariat entre l’association Jeune Création et la Fondation Fiminco. Après avoir tenté, en vain, d’adresser ces questions auprès du directeur de l’association, et avec le soutien d’Art en grève Paris, il.elle.s ont décidé de rompre le silence pour témoigner des problèmes qui les touchaient. Collectivement, et au cours d’un montage d’exposition difficile, il.elle.s ont rédigé un texte, puis l’ont prononcé lors de leur vernissage tout en déployant une longue banderole sur laquelle on pouvait lire : « FIMINCO + JEUNE CRÉATION, PRÉCARITÉ + GENTRIFICATION ». Situation inédite. Les artistes ont adressé leurs critiques, directement et publiquement, à l’institution pour qui il.elle.s travaillaient. Cet événement ouvre la voie à une prise de parole plus libre, mais elle reste fragile, et nous ne voulons pas la voir se refermer.
C’est la raison pour laquelle, nous, artistes invité.e.s à prendre part à une exposition dans les locaux de Jeune Création sur le site Komunuma, souhaitons nous mobiliser. Dans le prolongement, et en soutien au mouvement initié par les artistes qui se sont exprimé.e.s samedi dernier, nous avons décidé de nous retirer de l’exposition A spoonful of sugar organisée par le collectif Diamètre qui ouvre ce samedi 1er février 2020, et de nous saisir de la parole à notre tour.
Il nous semble impossible de travailler au sein d’un contexte tel que le site Komunuma. Le projet de gentrification de Romainville entrepris par le groupe Fiminco s’inscrit de plain-pied dans une logique capitaliste de gestion de nos espaces publics par des acteurs privés, ayant pour effet d’accentuer la ségrégation sociale et d’éliminer les corps politiques les plus vulnérables. Les récits dont nous avons été témoins de la part des participant.e.s à la 69e édition Jeune Création, des ancien.ne.s membres de l’association, des habitant.e.s de Romainville, ainsi que les réactions suscitées par cette action au cours des derniers jours, nous confirment que nous ne souhaitons pas indirectement participer à légitimer la violence des pratiques exercées par la Fondation Fiminco et l’association Jeune Création. À l’image des oiseaux éliminés par un sniper parce qu’ils occupaient le bâtiment de la Chaufferie où se préparait le salon Jeune Création, de l’aménagement de résidences d’artistes sur des parcelles polluées interdites à la construction d’habitat résidentiel, ou encore de l’ouverture du centre commercial Paddock Paris en face de la fondation, la toxicité du projet Fiminco pour les Romainvilloi.se.s et les artistes ne laisse aucune place au doute. Nous refusons que nos pratiques artistiques soient instrumentalisées à ces fins.
L’événement qui s’est produit le 25 janvier nous a démontré qu’il est aujourd’hui possible d’adresser notre critique aux institutions responsables de ces violences directement, et non plus à travers un objet d’art. Si nous avons accepté d’exposer en ces lieux il y a quelques mois, c’est parce que nous avons pris l’habitude de sans cesse nous adapter. L’adaptabilité — notion qui se trouve être au cœur du projet d’exposition proposé par le collectif Diamètre — fait écho à la façon dont se conçoit le statut de l’artiste aujourd’hui. Depuis le début de nos pratiques artistiques, et à force de répondre à cet impératif d’adaptabilité, nous faisons chaque jour l’expérience dans nos corps d’une dépossession de notre capacité à décider par et pour nous-mêmes de nos conditions d’existence et de création. Notre adaptabilité profite aux lieux qui nous exposent, et en y consentant, nous maintenons le système en place. Ce cercle vicieux empêche toute possibilité d’amélioration de nos conditions de travail, et nous soumet à plus de vulnérabilité, dans l’illusion qu’une réussite individuelle puisse nous sauver.
En refusant de nous adapter aux conditions de travail qui nous sont proposées aujourd’hui, nous espérons participer à l’espace de parole et de solidarité qui a été ouvert au cours des dernières semaines en lien avec le mouvement Art en grève, et rompre avec des institutions qui entretiennent le silence sur notre précarité.
En retirant notre travail de l’exposition A spoonful of sugar nous souhaitons ancrer notre action dans le mouvement social en cours, donner un sens concret à nos positionnements d’artiste, et contribuer à construire collectivement une alternative au monde que le groupe Fiminco est en train d’imposer à Romainville. Nous invitons tou.te.s ceux.lles qui le souhaitent et qui le peuvent à rejoindre et à renforcer cette mobilisation.
1 “Komunuma, « communauté » ou « commune » en Esperanto, la langue du partage, est le nom d’un site de près de 11000 mètres carrés à Romainville, réhabilité par la Fondation Fiminco” situé au 43 rue de la Commune de Paris, 93230, Romainville, http://komunuma.com/information/index.html